Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
14 juin 2010 1 14 /06 /juin /2010 20:53

Bonsoir M. Voici un plan détaillé qui j'espère permettra de clarifier la question. Je n'ai pas trouvé l'intitulé exact de la question mais ce qui suit est une étude qui fait à peu près le tour du thème. Bonne lecture (et un peu de repos aussi, à l'image d'Ulysse dans ce long voyage : il faut parfois savoir aborder un rivage !).

 

 

Le sommeil dans les chants V à XIII de l’Odyssée d’Homère

 

 


Ø      Si une telle question vous arrive, c’est-à-dire très précise, je conseille vivement de partir d’un inventaire du texte : qui dort ? qui rêve ? où ? quelles conséquences ? quel sens peut-on donner à chaque fois au sommeil ? Et de construire, à partir de la liste obtenue, ensuite un plan cohérent et analytique.

Ø      Néanmoins, voici un plan détaillé de la question.

 

On peut rappeler en introduction la perception que les Grecs de l’Antiquité avaient du sommeil et des rêves : les rêves viennent des dieux et peuvent même permettre de passer d’un monde à l’autre. Cependant, cette perception se fonde essentiellement sur l’Iliade et l’Odyssée, et a été reprise par les grands tragiques grecs par la suite. Ce n’est qu’à l’époque moderne avec les découvertes de la psychanalyse que les hommes abandonnent cette perception religieuse des rêves pour y voir l’expression de l’inconscient et de pulsions ou désirs refoulés.

 

On pourra se demander s’il y a un seul type de sommeil ou au contraire des sommeils différents. S’agit-il ainsi d’un sommeil appartenant au rythme humain ou au contraire d’un sommeil magique relevant du merveilleux ?

 

I – La fonction narrative du sommeil

 

1.1 ) Rythmer la narration

 

Le sommeil permet de rythmer la narration, aussi bien à travers les faits racontés par l’aède narrateur omniscient que au sein du récit d’Ulysse. Les formules désignant le sommeil et le réveil sont ainsi récurrentes et marquent autant d’étape dans la narration et le voyage d’Ulysse. L’expression « lorsque parut la fille du matin, l’aube aux doigts roses » est particulièrement répétée. Le sommeil vient ainsi clore le chant VII et le premier jour d’Ulysse au palais des Phéaciens. Au chant IX, le sommeil rythme également les différentes étapes de la dérive des bateaux d’Ulysse à travers les îles sauvages fréquentées par les nymphes et les cyclopes. Il est de même au chant X puisque le sommeil marque la progression du voyage du pays des Lestrygons jusque chez Circé.

 

1.2 ) L’absence de sommeil : un élément déterminant pour l’appréciation de la durée des épisodes et le registre épique

 

Par opposition, l’absence de sommeil permet d’accentuer la notion de durée et la perception de l’effort consenti par le héros durant certains épisodes. Celui-ci apparaît ainsi comme un véritable héros dans des épisodes épiques où sa résistance va au-delà des normes humaines. Dans le chant V, au sortir de l’île de Calypso, Ulysse dérive pendant vingt jours seul sur son radeau puis au sein même de la mer. Aux chants IX et X, l’absence de sommeil dramatise l’angoisse devant un danger imminent : après le massacre des compagnons d’Ulysse par les Cicones (IX, v.74-75) et après le massacre des Lestrygons, lors de l’arrivée sur l’île d’Aiaté, île de Circé (X, v.142-143). Dans un effet de parallélisme, c’est aussi l’absence de sommeil qui est invoquée pour désigner la longue attente de Pénélope, au chant XIII, v.336-338.

 

1.3 ) Permettre l’action

 

Le sommeil, en représentant une perte de maîtrise, peut faire évoluer l’action. Ainsi, il n’est pas question de magie dans le sommeil de Polyphème le Cyclope. Celui-ci s’endort au chant IX parce qu’il est ivre du vin que lui a donné le rusé Ulysse : « Alors, tête en arrière, il tomba sur le dos ; / puis sa grosse nuque fléchit, le souverain dompteur, / le sommeil, le gagna ; de sa gorge du vin jaillit / et des morceaux de chair humaine ; il rôtait, lourd de vin » (v.371-375). Mais ce sommeil voulu par Ulysse va permettre à celui-ci de prendre le cyclope par surprise et de lui crever son œil. Il est dans les chants de L’odyssée un autre sommeil qui n’a rien de magique : celui d’Elpénor, le compagnon d’Ulysse qui cuve son vin et finit, mal réveillé par se tuer en tombant du toit du palais de Circé. C’est à lui qu’Ulysse rend ses devoirs funéraires au retour du pays des Cimmériens.

Dans tous ces cas, le sommeil paraît normal, une scansion de la vie et du voyage pour des héros dont il rappelle l’humanité. C’est un moteur puissant du voyage puisque c’est lui qui souvent oblige Ulysse et ses compagnons à faire halte et ouvre ainsi sur de nouvelles rencontres et d’autres aventures. Cependant, à ce sommeil normal s’ajoute un sommeil qui a l’air magique et qui ouvre sur le merveilleux.

 

II – Un sommeil magique

 

2.1 ) Un sommeil voulu par des dieux hostiles

 

Le sommeil d’Ulysse sur l’île du Soleil paraît surnaturel et voulu par les dieux – « je priai les dieux qui règnent sur l’Olympe. / Comme ils versaient un doux sommeil sur mes paupières, / Euryloque à mes gens conseillait un projet fatal. » (v.337-339) - : il permet aux compagnons d’Ulysse de tuer les troupeaux du Soleil et ainsi de commettre un sacrilège qui amène sur eux la malédiction des dieux et retarde encore le retour à Ithaque.

 

2.2 ) Un rêve prophétique ?

 

C’est Athéna qui envoie à Nausicaa un rêve, au chant VI. Celui-ci enjoint à la jeune fille d’aller laver le linge en vue d’un prochain mariage. On peut y voir là l’un des motifs propres à la littérature grecque antique : le rêve prophétique puisqu’effectivement Nausicca rencontre le lendemain Ulysse qu’elle juge digne d’être son époux et à qui Alcinoos propose sa fille en mariage. Cependant, si ce sommeil est bien magique, il reste que Nausicaa est la véritable victime de l’épisode des Phéaciens puisqu’elle voit partir Ulysse au chant XIII. Ainsi, il ne s’agissait d’une prophétie qu’en apparence, astuce créée par Athéna pour aider en réalité Ulysse.

 

2.3 ) L’ambivalence du sommeil : source de vie ou de mort ?

 

De fait, si le sommeil peut ouvrir sur un avenir possible, son effet est cependant ambivalent. Ainsi, il est souvent présenté comme indispensable à la vie et régénérateur. Au chant V, après le long périple en mer et la tempête, Ulysse peut enfin s’endormir en arrivant sur les côtes de la Schérie. Ulysse endormi sous les feuille est ainsi présenté comme une source de vie préservée, un tison sous la cendre, v.488-491. Néanmoins, le sommeil peut aussi déboucher sur la mort : il en est ainsi du sommeil d’Elpénor. De même, que penser du chant des Sirènes qui entraîne l’oubli de soi jusqu’à en mourir : enchantement, charme magique ou sommeil mortifère ?

 

2.4 ) Sommeil ou passage d’un monde à l’autre ?

 

C’est plongé dans un profond sommeil qu’Ulysse fait la traversée du pays des Phéaciens vers Ithaque au chant XIII. Ce sommeil est trop surprenant pour ne pas être magique : comment Ulysse peut-il faire une telle traversée sans s’apercevoir de rien, et être déposé sur le rivage d’Ithaque sans en avoir conscience.  On peut ainsi se demander si ce sommeil magique n’est pas en fait le passage du monde merveilleux auquel appartiennent pour une part les Phéaciens et le monde réel, celui d’Ithaque, des hommes et des prétendants. Le sommeil serait ainsi le mode de passage d’un monde à l’autre, et la traversée magique, sur les barques phéaciennes qui se dirigent à la pensée son mode d’expression métaphorique. Ainsi, le sommeil qu’appelle Ulysse au début du chant XIII est comparé au retour du laboureur le soir chez soi après une longue journée de travail et de peine : v.29-35 : « Ulysse / tournait souvent les yeux vers le soleil resplendissant, / souhaitant son coucher, car il ne songeait qu’au retour. / Comme un homme qui rêve à son souper, car tout le jour / ses bœufs vineux dans la jachère ont traîné la charrue, / voit avec joie s’éteindre la lumière du soleil / et le souper venir, ses genoux cassés par la marche, / ainsi Ulysse eut joie à voir se coucher le soleil. » Paradoxalement, ce sommeil magique est associé à une mort, mais c’est surtout une mort aux peines endurées et une renaissance au réel. Ainsi, le sommeil est donc une étape majeure dans le parcours initiatique d’Ulysse puisqu’à travers lui le héros quitte les ténèbres du monde archaïque et merveilleux pour retourner au monde réel : v.78-81 : « Les rameurs, se cabrant, éclaboussèrent d’eau les rames ; / alors, un doux sommeil tomba sur ses paupières, / profond et tout pareil au calme de la mort. », et v.89-92 : « emportant ce héros sage comme les dieux / qui avait tant souffert d’angoisses dans son cœur / dans la bataille humaine et dans la douloureuse houle : / il dormait immobile, toutes souffrances oubliées ».

 

2.5 ) L’Odyssée : le rêve d’Ulysse ?

 

Il est ainsi à noter que l’essentiel des aventures d’Ulysse appartiennent à son récit. Comment ne pas être étonné devant cette narration qui nous plonge dans un monde merveilleux, si différent de celui d’Ithaque et de ses prétendants, où comme dans les rêves, les symboles du masculin et du féminin sont assez visibles : grottes, île nommée « nombril du monde » pour le féminin, pieux, lances, épées pour le masculin. En d’autres termes, ne peut-on pas émettre l’hypothèse que le récit du voyage tout entier serait le rêve d’Ulysse, dont il se réveillerait, comme par hasard, sur les rives d’Ithaque, pour ensuite aller rejoindre son épouse ?

 

 

On voit ainsi qu’il y a deux types de sommeils dans l’Odyssée : d’une part le sommeil indispensable à la vie, qui rythme le voyage et donc la narration, et qui rappelle la profonde humanité du héros comme aussi, par son absence, le caractère exceptionnel de l’endurance dans des épisodes épiques. Et puis, il y a aussi un sommeil magique, voulu par les dieux, qui ouvre sur le merveilleux ou au contraire le referme : il prolonge la dérive d’Ulysse dans le monde merveilleux et archaïque, permet à Nausicaa de rencontrer et d’aider Ulysse ou au contraire le fait revenir eu monde réel, dans une traversée qui est avant tout un passage, un rite dans le parcours initiatique du héros.

Partager cet article
Repost0

commentaires

S
<br /> Merci pour le plan, j'ai vu qu'il est tombé au Liban (O_O) lors du bac littérature de cette année.<br /> Je ne me souvenais même pas de ça :s<br /> Enfin merci encore ;)<br /> <br /> <br />
Répondre
F
<br /> Merci pour cette grande réponse qui répond plus que bien à mes attentes. Je suis maintenant rassurée si un tel sujet tombe pour le bac!<br /> Merci<br /> <br /> <br />
Répondre

Présentation

  • : Le blog de litterale.cirilbonare.over-blog.com
  • : Blog traitant de toutes les littératures, de celles que l'on enseigne, et de celles que l'on n'enseigne pas.
  • Contact

Recherche

Liens