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13 décembre 2012 4 13 /12 /décembre /2012 14:27

Acte III, scène 3

 

Les références proposées sont celles de l’édition GF. Dans cette édition, la scène 3 de l’acte Iii va de la page 127 à la page 147.

 

Enjeux : comprendre les enjeux scéniques de l’extrait et la difficulté de la mettre en scène.

Dégager les enjeux philosophiques de la scène. Percevoir le style poétique et élégiaque de l’écriture de Musset.

 

I – Les enjeux scéniques d’une scène particulièrement longue

 

Problématique : cette scène est une vraie gageure théâtrale par son exceptionnelle longueur, par la complexité de l’échange, et par son écriture poétique.

 

Il est important de pouvoir la cerner tout d’abord dans son ensemble.

 

1.1        )La composition de la scène

 

Point de méthode : pour dégager les différents temps d’une scène aussi longue, il faut être attentif aux didascalies, à la distribution de la parole (qui parle le plus ? en dernier ? qui domine la scène ?), au vouvoiement ou au tutoiement.

 

Il y a deux grands temps dans cette scène :

 

  • le premier temps est consacré à l’arrestation de Pierre et de Thomas Strozzi sous les yeux de leur père (p. 127 à 130). Ce premier temps se décompose lui-même en trois moments distinct : l’arrestation de Thomas Strozzi, p. 127, jusqu’à la didascalie « Pierre et Philippe arrivent. » ; l’arrestation de Pierre sous les yeux de Philippe impuissant, p. 128-129, jusqu’à « et le bâtard en sera pour ses frais de justice » ; le monologue de déploration de Philippe où celui-ci s’engage également à agir, pp. 129-130, jusqu’à « redresse-toi pour l’action ».
  • le deuxième temps à partir de la didascalie « Entre Lorenzo » jusqu’à la fin de la scène est consacré à la confrontation entre Philippe Strozzi et Lorenzo.

 

→ C’est la confrontation entre Philippe et Lorenzo qui nous intéresse. Il faut en maîtriser la composition.

 

- Premier temps : p. 130-132, de « Entre Lorenzo » à « est une lumière éblouissante ». C’est l’invocation de Philippe à Lorenzo de se départir de son masque et de montrer sa vraie nature.

→ Dans ce premier temps, Philippe parle plus que Lorenzo, et la différence sur scène (Philippe est assis et Lorenzo debout) rend compte de la tension entre les deux personnages : Lorenzo esquive les questions de Philippe (il répond de façon liminaire, ou par l’ironie, ou par une autre question). Philippe adjure Lorenzo de parler, de dire la vérité. Philippe est enfermé dans sa douleur de père et Lorenzo dans sa tristesse.

- Deuxième temps : p. 132-136, de « Il s’assied près de Philippe » à « tu m’irrites singulièrement » : Lorenzo essaie de dissuader Philippe d’agir et lui parle, dans ce but, de son projet de meurtre.

→ Dans ce deuxième temps, Lorenzo est assis à côté de Philippe, ce qui rapproche les deux personnages. Le ton est celui de la confidence et du conseil dissuasif. Le tutoiement est celui de la compassion de Lorenzo pour les malheurs de Philippe. Cependant, le dialogue ne se fait pas absolument car Philippe reste enfermé dans sa colère et dans sa perplexité.

- Troisième temps : p. 136-139, de « Tel que tu me vois, Philippe, j’ai été honnête » à « Maintenant, sais-tu ce qui m’arrive, et ce dont je veux t’avertir ? » : C’est le récit par Lorenzo de l’élaboration du projet du meurtre.

→ Lorenzo parle désormais beaucoup plus que Philippe qui se contente de réagir par la stupeur et la perplexité. Lorenzo tente de se confier à ce père symbolique qu’est Philippe et lui raconte son parcours de Rome à Florence. On peut cependant se demander s’il parvient vraiment à se faire entendre.

- Quatrième temps, p. 139-145, de « Tu es notre Brutus, si tu dis vrai » à « Viens, rentrons à ton palais, et tâchons de délivrer tes enfants » : dans ce temps, directement relié au précédent, Lorenzo dit avoir déjà conscience de l’échec de son projet de meurtre, pour les hommes et pour lui-même.

→ A l’idéalisme de Philippe répond ici le nihilisme de Lorenzo. L’antithèse entre les deux personnages se creuse encore, Philippe répondant aux tirades lyriques de Lorenzo par l’incompréhension et l’étonnement.

- Cinquième temps, p.145-147, de « Mais pourquoi tueras-tu le duc » à la fin de la scène : C’est le moment du dévoilement le plus intime. Lorenzo y exprime ses motivations profondes, son rêve de restauration d’une unité perdue, son orgueil et la démesure de son rêve.

→ Ce dernier temps est marqué par la logorrhée verbale de Lorenzo qui s’exprime à travers sa très longue tirade. Cependant, Lorenzo reste incompris par Philippe qui en revient à son projet du début de la scène. Philippe n’a donc pas changé et l’échange verbal se solde partiellement par un échec. (On voit là une expression de la construction du personnage de Philippe qui à la façon des personnages de comédie reste fermé au monde et immuable, guidée par une idée fixe qui n’a d’ailleurs aucune consistance).

 

1.2      ) Les problèmes de représentation

 

  • Cette scène est particulièrement longue et la densité de la parole (longueur et complexité des tirades, mais aussi leur potentiel poétique) suppose que la scène soit assez statique. La gestuelle ne peut en effet qu’être limitée pour laisser la place à la parole. D’ailleurs, les indications scéniques sont très réduites. Cela demande au spectateur un effort important d’attention.
  • La qualité oratoire et poétique du texte suppose un certain effacement du personnage derrière son texte. En même temps, cette scène recentre l’intrigue sur l’aventure personnelle de Lorenzo. Il faut donc à l’acteur jouant Lorenzo le charisme nécessaire et en même temps la prudence pour se garder d’alourdir le texte par trop d’emphase ou une diction trop appuyée.
  • Le texte appartient à la tradition du texte dit « littéraire », et « poétique ». Tout doit se jouer sur les modulations de la voix du comédien, et sur la variation des postures. Un journaliste du Journal musical déclare ainsi à propos de la performance de Gérard Philippe en 1952 : l’acteur est « dansant, mimant, rampant, épuisé par l’attente et râlant de désir ».
  • Le ton résolument élégiaque de ce passage est aussi une gageure pour le comédien qui doit rendre la fermeté mais en même temps la rêverie et le désespoir de Lorenzo.

 

1.3      ) L’exemple de Gérard Philippe en 1952

 

  • Cf. : http://www.youtube : Lorenzaccio -Gérard Philippe : quoique très fidèle à la pièce, la mise en scène présente un texte coupé en plusieurs endroits. Il faut comprendre les raisons qui président aux coupes et celles qui motivent le respect d’autres passages.
  • Il s’agit d’écourter la pièce, de la rendre plus simple et plus intelligible pour le spectateur.
  • Les passages inutiles à la compréhension littérale car répétitifs ont été coupés. Ainsi, Lorenzo dissuade à plusieurs reprises Philippe de passer à l’acte et lui conseille de rentrer chez lui. Ces réitérations ont été coupées, comme celle p. 135. Ces coupes créent donc un texte plus simple et plus fluide. Ainsi, la longue tirade finale dit à trois reprises le dégoût de Lorenzo de lui-même et des hommes. La mise en scène n’a retenu que l’une de ces propositions.
  • Il s’agit aussi de recentrer la scène exclusivement sur l’aventure de Lorenzo. Les remarques annexes sur la sécurité de Thomas et Pierre ou sur les républicains n’apparaissent donc pas. Ainsi, il y a une importante coupe sur l’impuissance verbeuse des républicains.
  • La mise en scène a également coupé des passages poétiques qui ne correspondent pas à un texte destiné à être joué, et qui risque d’entraîner une diction verbeuse et fausse sur scènes : le destin de Philippe joué aux dés, le martyr de Lorenzo, l’allusion mythologique à Niobé, la comparaison avec une statue, la référence à Cicéron, la métaphore du pansement pour désigner le masque du vice que Lorenzo a porté, la métaphore du masque de plâtre, la bâton d’or de Brutus, la métaphore de la cloche pour entrer dans la corruption du monde, la métaphore de la cité avec ses mauvais lieux, la métaphore de l’habité pour décrire le rôle de perverti que Lorenzo a joué, la robe de l’humanité qui dévoile sa corruption, la comparaison des hommes avec les chiens, la métaphore du voile couvrant la vérité, le vêtement du vice. Tous ces éléments sont des éléments poétiques (essentiellement des comparaisons, des métaphores, des allégories, des références à la mythologie ou à l’histoire antique) qui risquent d’obscurcir le discours de Lorenzo pour un public non initié. Ils supposent aussi que l’acteur s’efface devant la qualité poétique du texte, la présence de l’image et rendent la présence du comédien sur scène encore plus problématique.
  • Enfin, de nombreuses interventions de Philippe qui relancent le discours de Lorenzo ont été coupées. Elles n’apportent d’ailleurs pas de sens et alourdissent la scène à la représentation. Ce qui veut dire que le personnage de Philippe s’efface devant Lorenzo et que l’incompréhension entre les deux personnages est moins perceptible. Le metteur en scène a privilégié les questions et les réactions de Philippe à celles qui expriment sa perplexité et son incompréhension. Ce qui suppose ici que la voie de la parole pour Lorenzo construise vraiment l’action et ne soit pas un échec comme dans la version complète de Musset ! Lorenzo sort grandi, et compris partiellement de Philippe ce qui n’est en réalité pas le cas. On voit la volonté d’affirmer un personnage, à la dimension du comédien Gérard Philippe. Il n’est pas en posture d’échec, comme dans le texte intégral de Musset. De fait, une bonne part de la partie sur la conscience d’un échec pour les hommes et pour lui-même a été abandonnée. C’est la partie qui a le plus de coupes et les coupes les plus importantes. On ne retrouve pas totalement le nihilisme de Musset qui dénie à son personnage toute compréhension, tout sens et toute réussite, et qui le maintient dans une solitude existentielle radicale.

 

II – Les enjeux politiques et métaphysiques

 

→ La pièce a un enjeu pour Lorenzo : elle dévoile clairement son projet, l’histoire de son élaboration et la conscience d’un échec attendu pour les hommes comme pour lui-même.

→ Elle permet également à Musset de dévoiler le pessimisme du personnage sur les enjeux politiques et métaphysiques de la pièce.

· L’injustice du monde qui bafoue l’homme bon et droit

Lorenzo et Philippe utilisent tous deux la métaphore du mendiant réclamant la justice, p. 130 : « demandes-tu l’aumône », « l’aumône à la justice des hommes, « un mendiant affamé de justice », « mon honneur est en haillons ».

· La corruption du monde sous les apparences se dit à travers un réseau métaphorique qui brasse les thèmes du masque, de l’habit-déguisement, de la théâtralité.

« le masque de la colère » (p. 130), « la hideuse comédie que tu joues », « fidèle spectateur », « que l’homme sorte de l’histrion », p. 131. « le rôle que tu joues est un rôle de boue et de lèpre », p. 132. P. 138 : « les masque de plâtre ». L’hypocrisie est également exprimée en termes bibliques à travers la figure de Judas, p. 141 : « avec un sourire plus vil que le baiser de Judas ». On retrouve le motif du déguisement p. 141 : « habits neufs de la grande confrérie du vice », « enfant de dix ans dans l’armure d’un géant de la fable », « tous les masques tombaient devant mon regard », « l’Humanité souleva sa robe et me montra (…) sa monstrueuse nudité ». P. 143 : « la main qui a soulevé une fois le voile de la vérité ne peut plus le laisser retomber », « le vice a été pour moi un vêtement, maintenant il est collé à ma peau ». L’humanité se révèle duplice et la vertu n’est qu’une apparence, un masque. Le récit de Lorenzo s’emploie à démasquer l’imposture. A force, cependant, le thème du masque s’inverse. Au début c’est la vertu qui est un masque. Mais bientôt, Lorenzo semble vouloir soulever le masque du vice pour apercevoir quelques « restes » d’une pureté originelle : « j’attendais toujours que l’humanité me laissât voir sur sa face quelque chose d’honnête ».

·         Le monde corrompu est comparé à un océan peuplé de monstres marins, où à une cité remplie de mauvais lieux.

P. 139, la métaphore de l’océan dans lequel Lorenzo plonge sous une « cloche de verre » et que Philippe contemple de loin, permet d’opposer l’idéalisme de Philippe à la connaissance désabusée de Lorenzo. P. 140, le monde est comme une cité emplies de « tripots » et de « mauvais quartiers ». Ainsi, le parcours de Lorenzo est symboliquement associé au récit de la chute originelle (« Suis-je Satan ? », « Songes-tu que je glisse depuis deux ans sur un rocher taillé à pic », prise entre la nostalgie d’un paradis perdu et la descente aux enfers : « tout ce que j’ai à voir, moi, c’est que je suis perdu ». Son récit a donc des connotations à la fois tragiques et religieuses.

· La corruption des hommes, leur caractère vile sont aussi exprimés à travers le réseau de métaphores animalières

Lorenzo est « traité de chien », p. 131 ; Le duc est comparé, pp. 138-139 à un « buffle sauvage », qui, « quand le bouvier l’abat sur l’herbe, n’est pas entouré de plus de filets ». L’homme est ravalé au rang de chien : il lèche la main avec fidélité après s’être roulé sur les cadavres. Lorenzo ne dénie pas aux hommes une certaine forme de vertu, mais ils montre que les frontières entre le bien et le mal sont brouillées : l’ami fidèle est aussi un être plein de bassesse.

· C’est aussi la métaphore animalière qui permet de dire l’amour paternel, quelque chose de l’ordre de l’instinct

Philippe séparé de ses fils est « comme le serpent », « les morceaux mutilés de Philippe se rejoindraient encore et se lèveraient pour la vengeance », p. 132. La métaphore du cheval permet de dire la vieillesse d’une existence passée au service de la cité : « j’ai trop tourné sur moi-même comme un cheval de pressoir », p. 133.

· Lorenzo dit l’hybris, la folie qu’il y a à avoir des rêves de liberté, comparée à un démon de la Bible

P. 180 : « c’est un démon plus beau que Gabriel (…). C’est le bruit des écailles d’argent de ses ailes flamboyantes. Les larmes de ses yeux fécondent la terre, et il tient à la main la palme des martyrs. Ses paroles épurent l’air autour de ses lèvres ; son vol est si rapide que nul ne peut dire où il va ». Lorenzo ne se présente-t-il pas lui-même comme un ange justicier : « l’Humanité gardera sur sa joue le soufflet de mon épée marqué en traits de sang », « les hommes comparaîtront devant le tribunal de ma volonté ». C’est aussi en termes bibliques, inspirés du Cantique des cantiques que Lorenzo exprime son observation du monde : « j’observais comme un amant sa fiancée en attendant le jour des noces ».

· La dualité de Lorenzo.

Cette dualité est exprimée à travers la métaphore du flacon. P. 135 : « Toi qui m’as parlé d’une liqueur précieuse dont tu étais la flacon, est-ce là ce que tu renfermes ». La vice est comme un emplâtre que l’on ne peut plus enlever, p. 138 : « il y a des blessures dont on ne lève pas l’appareil impunément ».  La corruption est ainsi associée à l’image de la flétrissure : « je croyais que la corruption était un stigmate et que les monstres seuls le portaient au front ». Par cette image, l’idéalisme manichéen est dénoncé : le mal n’est pas la particularité de quelques monstres ; le mal est associé à la normalité ! Cette dualité s’exprime aussi dans la tirade finale par la métaphore du fil qui relie le cœur présent au cœur d’autrefois, la métaphore du précipice. Cette dualité s’alimente de la nostalgie d’une pureté perdue. Lorenzo révèle sa sensibilité, et à l’image de son auteur, une quête de fusion amoureuse qui a sombré dans la désillusion : « j’aurai pleuré avec la première fille que j’ai séduite ». Cette scène explicite un lien chez Musset entre naïveté et rouerie. La frontière entre la vertu et le vice est ainsi floue : Lorenzo essuie sur les joues des femmes qu’il séduit des « larmes vertueuses ». Le libertinage est ainsi associé à l’incandescence romantique. Lorenzo a en lui à la fois la nostalgie d’un amour idéalisé et une curiosité pour le mal. Cf. sur le libertinage et la nostalgie de la pureté, l’article d’Anne Quentin, « Musset, un libertin mélancolique », dans les Nouveaux Cahiers de la Comédie-Française.

 

III – Le rôle de la parole dans la tirade finale

 

  • La tirade se situe à la fin d’une scène qui a vu :

- l’énoncé d’un projet, celui du meurtre

- l’histoire de sa mise en œuvre

- la certitude d’un succès imminent.

  • En même temps, Lorenzo a affirmé l’inutilité de son acte pour l’humanité qui ne saura pas en profiter et pour lui-même : il sait déjà que la restauration, la régénération qu’il en attend est impossible. Ce double constat vide son geste de tout sens.
  • D’où la question de Philippe : « Si tu crois que c’est un meurtre inutile à ta patrie, pourquoi le commets-tu ? ». Philippe pose la question du sens de l’acte dans la perspective de son double échec.
  • La justification qu’apporte Lorenzo à son acte est triple : c’est une justification par rapport à lui-même, une justification par rapport à Philippe et aux républicains, une justification par rapport à l’humanité toute entière. La tirade se décompose ainsi en trois temps, un premier temps marqué par la forte présence du pronom personnel de première personne (l.475-494), un deuxième temps centré sur les réactions des « républicains » (l. 494-507) et un troisième temps où Lorenzo invoque « les hommes », « l’Humanité » (l.507-519). La composition de la tirade est donc soutenue par un mouvement d’amplification de la pensée et de la vision.

 

On peut se demander quel est le rôle de la parole pour Lorenzo. Est-ce un bavardage oiseux ou une parole possédant la vertu du salut ?

 

A – Une parole salvatrice ou vaine ?

 

·         La parole de Lorenzo affirme un triple vide : vis-à-vis de soi-même, vis-à-vis des républicains et vis-à-vis de l’humanité.

·         Pour soi-même, Lorenzo présente sa vie comme entièrement vaine et conduisant dans son non-sens au suicide : « veux-tu donc que je m’empoisonne, ou que je saute dans l’Arno ? ». L’être lui-même a perdu son épaisseur et comme ses principes de vie, rendu au « spectre » (dans une inversion de II, 4, Lorenzo devient le spectre de son spectre) ou au « squelette ». C’est un être déchiré, séparé de son identité (métaphore du fil qui relie le « cœur » d’aujourd’hui à celui d’autrefois). La métaphore du précipice permet de dire la chute morale du personnage. La suite de la tirade creuse le pourrissement de soi-même : l’orgueil, le vice, le vin, le jeu, les filles.

·         Les républicains sont eux aussi du côté du vide, de l’incapacité, du non-sens. Ce sont des « lâches » qui parlent beaucoup pour se dispenser d’agir : « lâches sans nom, qui m’accablent d’injures pour se dispenser de m’assommer, comme ils le devraient », « pourront satisfaire leur gosier, et vider leur sac à parole ».

·         L’humanité est une coupable qu’il faut corriger et qu’il faut faire comparaître pour la juger : « l’Humanité gardera sur sa joue le soufflet de mon épée », « les hommes comparaîtront devant la tribunal de ma volonté ».

·         La parole prend des accents à la fois lyriques et polémiques (anaphore des « veux-tu donc », « songes-tu », « voilà assez longtemps », questions rhétoriques…). L’effort de grandissement verbal est à la hauteur de l’inanité du geste.

·         Pourtant, cette parole dit la nécessité de l’action et l’inanité de la parole (« j’en ai assez d’entendre brailler en plein vent le bavardage humain »). Au milieu du plein verbal est dénoncée une parole comme vide.

·         La pierre de touche de la dignité vraie, c’est l’action (« de m’assommer, comme ils le devraient »). La parole est dépréciée dans le même temps qu’elle construit l’acte futur.

·         La parole en ce sens est le point d’aboutissement d’une aventure qui est celle d’un comédien (Lorenzo a joué le rôle du lâche et du débauché). A ce moment-là de la pièce, Lorenzo a une dernière fois besoin d’un spectateur, Philippe. C’est une parole qui porte au comble la théâtralité de Lorenzo tout en dénonçant en même temps la théâtralité d’un monde de faux-semblant.

 

B – L’expression d’une fatalité ?

 

  • L’acte futur du meurtre est présenté au présent au début de la tirade. L’acte est posé comme une sorte d’absolu.
  • Le meurtre est aussi une nécessité : il est le seul terme d’une alternative dont l’autre terme est le néant : « le seul fil », « tout ce qui me reste de ma vertu », « le seul brin d’herbe ».
  • C’est une nécessité pour soi et une fatalité pour l’humanité. Il s’agit d’assigner les hommes à comparaître, à reconnaître la vérité de leur être : « j’aurai dit tout ce que j’ai à dire », d’apporter la preuve de leur ignominie et d’obliger l’humanité à s’en souvenir : ‘il ne me plaît pas qu’ils m’oublient », « dans deux jours les hommes comparaîtront au tribunal de ma volonté ».
  • L’acte du meurtre est donc lui aussi un langage, qui jette à la face du monde son impureté, une « parole » en acte qui serait réellement salvatrice : Lorenzo déclare « j’aurai dit tout ce que j’ai à dire ». L’acte porte en lui le rêve d’une révélation faite à l’humanité. Pourtant, on sait déjà que cette révélation sera sans effet. Le nihilisme de Musset frappe donc la parole comme l’action, toutes deux vouées à l’échec.

 

 

La parole dit l’action à venir et demeure pour une part sans effet sur Philippe, comme le sera sur les autres familles républicaines. Le nihilisme de Musset s’étend donc à la parole comme à l’action. Toutes deux échouent à faire advenir la vérité, la liberté dont les hommes ne veulent guère, à réconcilier l’homme avec les autres et avec lui-même.

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