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Chapitre XVIII l’Eldorado

 

L'étude porte sur l'extrait suivant du chapitre XVIII : de "Candide et Cacambo montent en carrosse" à "toute pleine d'instruments de mathématique et de physique".

 

L’épisode de l’auto-da-fé a permis une critique de l’inquisition. Puis Candide s’est enfui en Amérique du sud. Il parvient ici en Eldorado, un pays fabuleux et imaginaire. Le passage a un enjeu philosophique exceptionnel : c’est en effet la première fois que Candide a l’occasion de croiser enfin le « meilleur des mondes » et donc de confirmer les théories de Pangloss. Reste à savoir si ce meilleur des mondes est plausible à titre de proposition philosophique et applicable au réel.

On retrouve ici le fonctionnement de l’utopie : il s’agit d’un pays de nulle part isolé par une chaîne de montagnes qui l’entoure pour permettre ainsi l’absence d’influences extérieures. C’est ainsi une cité idéale proposée à titre de contre modèle, pour critiquer certes données de la société française.

On doit aussi s’interroger sur les enjeux de l’emplacement de l’extrait dans l’œuvre : on est au centre du roman. Il y a là un sens possible au cœur même de l’œuvre. Mais cette position même laisse prévoir que l’Eldorado ne sera qu’une étape dans l’itinéraire de Candide.

 

I – Un monde idéal

 

Dans quels domaines l’Eldorado a-t-il les qualités du monde réel portées à leur perfection ?

 

1.1             ) Le registre merveilleux

 

Le voyage de Candide et de Cacambo est un voyage merveilleux dont les éléments ne sont pas rationnels : le carrosse est tiré par des « moutons » qui volent et qui arrivent en quatre heures à la capitale : l’expression ‘moins de » laisse penser à une rapidité et à une facilité du voyage.

 

1.2             ) la disproportion

 

Les mesures sont disproportionnées. On est dans la disproportion et cela rend le caractère sublime du pays : « le portail était de deux cents vingt pieds de haut et de cent de large » (l.4). Le nombre des personnes est souligné : vingt belles filles (l. 10), « mille musiciens » (l. 19). Les édifices publics sont élevés jusqu’aux nues (l. 35) : écriture hyperbolique, « mille colonnes », « grandes places », « deux mille pas » (l. 35,37,41).

 

1.3             ) Insistance sur le caractère paradoxal de la richesse

 

La richesse est le dénominateur commun de ce pays.  La matière du portail est si rare qu’il est impossible de la définir (prétérition) : l.5-6.  Mais cette matière efface même les valeurs absolues que sont l’or et les pierreries dans la civilisation européenne : l.8-9. Les tissus sont de riche matière : « de duvet de colibri » (l.14). Les fontaines sont exceptionnelles et n peut remarquer la gradation dans leur description : les premières sont d’eau pure, les secondes d’eau rose, les troisièmes de liqueurs de canne à sucre, et l’adverbe « continuellement » ajoute un surcroît de richesse. Les places sont pavées «  pierrerie » elles-mêmes indéfinissables comme pour la matière du portail, qui en plus répand une odeur de girofle et de cannelle (épices rares).

Or, le narrateur faussement objectif et naïf ne cesse de présenter ces richesses comme des choses ordinaires, et tombant sous le sens : les phrases sont déclaratives, et on note « selon l’usage ordinaire » (l.19-20), la ville est montrée comme « en attendant » (l.35). Mais d’autres fois, la narration se fait volontiers méliorative : « supériorité prodigieuse » (l.7).

 

1.4             ) la richesse des connaissances

 

La richesse n’est pas seulement matérielle. C’est aussi celle des connaissances scientifiques qui semblent encouragées dans ce pays : « il vit une galerie de deux mille pas, toute pleine d’instruments de mathématique et de physique » (l.41-42). Or, on entend derrière le narrateur la voix de l’auteur qui milite pour les progrès de la science contre l’obscurantisme et qui voudrait que l’Etat s’engage dans ces progrès scientifiques. Ce n’est pas un hasard si la science est présenté ici comme une institution d’Etat puisqu’elle a un palais (l.41).

 

Voltaire propose au centre de l’œuvre un monde merveilleux, hyperbolique et qui apparaît parfait, une utopie. Mais c’est aussi un contre modèle polémique dans la mesure où il sert la critique de la société française.

 

II – Un monde inversé

 

Quelles sont les particularités d’Eldorado qui sont présentées comme l’envers des pratiques européennes ? Quelle leçon de relativisme peut-on tirer de cette page ?

 

2.1 ) L’organisation de l’entourage du roi et de la monarchie

 

Le lecteur est surpris par la description de l’entourage du roi car cette description tout en restant objective va à l’encontre des habitudes de pensée du lecteur : la garde est en effet composée de « belles filles » et non d’hommes comme on pourrait s’y attendre. Il y a certes des « grands officiers de la couronne » mais aussi des « grandes officières ». Donc, il y a une inversion des rôles traditionnels des hommes et des femmes dans l’entourage royal. C’est une façon de penser la possibilité pour les femmes d’accéder à des emplois militaires et de collaborer au pouvoir au même titre que les hommes, vision d’autant plus audacieuse que l’idée d’égalité entre les hommes et les femmes est à peu près absente des débats du temps pourtant novateurs par ailleurs. Voltaire semble aussi plaider pour un monarque éclairé quoique tout puissant qui serait accessible à son peuple. C’est pourquoi il choisit d’illustrer son idée par les salutations de Candide et de Cacambo qui peuvent embrasser le roi qui les reçoit cordialement et les invite même à souper : l.28-34. Cette disponibilité du roi est renforcée par l’adjectif « imaginable » et l’adverbe « poliment ». Il s’agit en même temps d’un contre modèle à tous les monarques absolus de France, orgueilleux et lointains.

 

2.2 ) L’organisation de la cité

 

Le 3e paragraphe propose une vision de l’organisation de la cité après avoir décrit la sphère du pouvoir. En fait, le tableau est très bien organisé puisqu’on nous décrit dans un premier temps le roi et son entourage immédiat, puis la cité telle qu’on la voit architecturalement, puis les différentes institutions. L’architecture de cette cité est un plaidoyer pour l’hygiène publique à une époque où l’eau est encore rare et source de maladies : l’eau est pure et coule en fontaines, à la disposition de tous. Les fontaines sont aussi sources d’abondance pour la population. Les institutions donnent lieu à une description négative qui présente un monde inversé à la société française : pas de cour de justice ni de parlement, ni de prison. Ce qui suppose que ce monde set parfait au point d’avoir aboli tous les crimes et les délits. Enfin, c’est un monde qui encourage la science contrairement à une Europe dont Voltaire dénonce l’obscurantisme.

 

2.3 ) une leçon de relativisme

 

En proposant un contre modèle, même utopique, Voltaire remet en cause le fonctionnement politique, civil et judiciaire de la société française ainsi que ses valeurs et montre qu’il n’y a pas là de normes ni de valeurs absolues. La monarchie absolue de droit divin n’est pas une fin en soi, ni le système judiciaire, ni la place des femmes dans la société. Mais le narrateur remet surtout en cause la valeur absolue sur laquelle repose la société française du XVIIIe siècle, l’argent. Comme dans la « Prière à Dieu » extraite du Traité sur la tolérance, l’or et les pierreries sont redéfinis par une périphrase naïve qui leur ôte toute valeur : « sur ces cailloux et sur ce sable ».

 

Le contre modèle est donc polémique et sert à dénoncer le pouvoir monarchique absolu inaccessible a peuple, l’emprise du pouvoir judiciaire, signe d’un mal dans la société, l’insalubrité des cités et les famines ainsi que l’obscurantisme européen. Il est aussi question de la place des femmes dans cette société et en particulier par rapport au pouvoir (les femmes n’ont absolument aucune place officielle dans les arcanes du pouvoir, même à de très petites échelles. Mais ce sont les valeurs de la société française qui sont remises en cause, telles que la valeur de l’or. Mais on peut déjà percevoir les limites de ce modèle. Un monde sans délit apparaît improbable dans la mesure où ce serait logiquement un monde sans loi (ce qu’Eldorado n’est pas). De plus, c’est un monde où la richesse est à la portée de tous : elle est dans le sol et coule des fontaines. Mais qu’est-ce qu’une richesse partagée par tous sinon une pauvreté universelle ? Si l’or n’a plus aucune valeur, non plus que les pierreries, la canne à sucre, le colibri, etc. alors chacun est au même niveau que son voisin et aussi pauvre que lui. Ce monde parfaitement égalitaire apparaît ennuyeux. De fait, l’absence de cour de justice prouve qu’il ne s’y passe jamais rien, et les personnes sont toujours présentées en groupe, selon un ordre bien précis et occupés à la même tâche. L’individualité, le besoin de se différencier ou simplement de vivre pour soi-même n’existe plus. C’est pourquoi l’utopie n’est qu’une étape dans le parcours de Candide. Par là même, Voltaire montre que les belles idées, les constructions dégagées de la réalité ne tiennent pas la route et qu’il faut se confronter au réel pour trouver une réelle solution au problème de la condition humaine. Se trouvent rejeté tous les programmes et systèmes philosophiques qui comme l’utopie ne partent pas du réel. Bien loin de justifier la philosophie de Pangloss, cet extrait signe la défaite de tous les systèmes idéalistes.

 

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